L’afficheur de Aller chercher demain
Il m'arrive de plus en plus souvent d'intervenir sur autre chose que de la musique ou du son : sur de la vidéo.
En effet, à la suite de circonstances diverses, rencontres, opportunités, et ma volonté de vouloir toujours en faire plus, je ne maîtrise pas trop mal un logiciel dédié au traitement et à la diffusion d'image : Isadora, de la société Troikatronix.
Pour le petit garçon que j'étais, qui a joué pendant des heures au Meccano, ce logiciel est assez génial : il donne l'impression qu'on peut absolument tout construire, tout inventer, en terme d'image.
Pour ce faire, ce logiciel fournit à l'utilisateur des tas de petits modules qu'on peut relier entre eux, informatiquement parlant, de la manière la plus débridée.
Dans la pièce de Denise Chalem, Aller chercher demain, l'action se déroule dans deux lieux différents, un appartement, et la salle des infirmières d'un hôpital. Dans cette salle, au mur, il y a un écran sur lequel s'inscrivent, soit l'heure qu'il est, soit des numéros de chambre, quand un ou plusieurs malades demandent de l'aide ou des soins. Voilà pour le contexte.
Le principe d'un afficheur à 8 segments :
Pour afficher une information, comme une lettre ou un chiffre, on peut se servir d'un afficheur à 8 segments,
comme je le dessine ici : Pourquoi 8 ? On peut numéroter les segments :
7 barres (3 horizontales et 4 verticales) et un point, ça fait huit.
Il suffit d'allumer ou d'éteindre un ou plusieurs segments pour faire apparaître un chiffre ou une lettre.Ainsi le chiffre '0' verra les segments 1,2,3,5,6 et 7 allumés, et les segments 4 et 8 (le point), éteints.
La programmation :
Pour les besoins de la pièce, il a fallu programmer quatre afficheurs contigus. Je voulais aussi avoir un contrôle sur la couleur, en plus de l'évident contrôle sur le contenu, le message.
• Ceci est le "sub-patch", le sous-programme, pour un seul afficheur.
Chaque rectangle bleu foncé est un module, chaque trait rouge est une liaison entre modules. Il y donc 60 modules et 180 liaisons - tous les modules ayant été paramétrés, et les liaisons tirées, par moi-même (sinon ce ne serait pas drôle !...)
• Ceci est le "patch" pour un effet, par exemple, ici, la chambre 11 qui s'affiche et clignote.
Les plus gros modules que vous voyez sont les sub-patches évoqués plus haut : on voit bien qu'il y en a 4.
Il y a d'autres sub-patches présents dans le patch, ce qui signifie qu'en tout, un seul effet nécessite plus de 300 modules
et plus de 1000 liaisons !!...
Bravo si vous avez tenu jusque là !
Malheureusement ce n'est pas fini...
De l'idée à la réalisation
Pour les heures, on choisira une couleur bleue, et on fera clignoter le point, ce qui donnera ceci :
et pour les chambres, on choisira une couleur rouge, et on fera clignoter suivant l'urgence et le nombre de chambres.
Alors, me direz-vous, pourquoi tant se compliquer la vie, alors que dans le commerce il y a des afficheurs qui font ça très bien,
qu'il suffirait de les acheter ou de les louer ?
C'est là la beauté de la chose ; voyons donc pourquoi, oui,
pourquoi ça vaut le coup de se torturer les méninges :
Dans la pièce, le personnage joué par Michel Aumont meurt, et revient, en tant que fantôme, visiter sa fille qui travaille comme infirmière-chef à l'hôpital. Le spectateur voit le fantôme, sa fille voit le fantôme de son père, mais les autres protagonistes de la scène ne le voient pas.
J'ai donc proposé à Didier Long, le metteur en scène, une idée saugrenue : l'idée que, pendant la présence du fantôme, le comportement de l'afficheur devienne étrange, comme si le fantôme interférait avec la réalité.
Et ceci, aucun afficheur du commerce ne peut le faire !
Tout ça pour ça ?
Oui, tout ça pour ça.
C'est le théâtre, c'est l'amour du travail bien fait, c'est le souci du détail, c'est l'appétit à l'étrange, au jamais vu, à l'inouï.
Beaucoup beaucoup de travail, certes, d'heures, de jours passés à expérimenter, à corriger, à peaufiner,
mais au final un sourire satisfait, un sourire enfantin, "je l'ai fait, ça fonctionne, et c'est un peu de poésie..."
Allez, pour finir,
un peu de musique quand même : le thème principal de la pièce