L’Oculus de la Folle de Chaillot
Quand je travaille pour le théâtre, une de mes attributions est de fournir les bruitages, l’environnement sonore de la pièce.
Cela va du plus simple (par exemple un téléphone qui sonne, le carillon de la porte d’entrée) au plus complexe.
Pour cela, soit je me sers de banques de sons, de bruitages, soit j’enregistre moi-même – ma formation d’ingénieur du son à Louis Lumière est alors bien utile -.
Un téléphone sonne dans 80% des pièces de théâtre, hormis les classiques bien sûr. Le téléphone, dès son invention, a été intégré dans la dramaturgie. C’est en effet un moyen simple de faire avancer l’action, en faisant intervenir le monde extérieur, et en plus à peu de frais…
Il peut m’arriver d’avoir à faire le bruit d’un objet qui n’existe pas vraiment, à part dans la pièce de théâtre elle-même. Il faut alors inventer le bruit, en faisant appel à la mémoire auditive et à l’imagination.
Plusieurs exemples :
– un mur de pierre (en fait, un décor en bois) de 4 mètres de haut qui coulisse, révélant une entrée secrète (« Un château en Suède »)
– une sorte de mur arrondi, en métal (en fait, encore du bois…), coulissant sur des rails, qui sort du mur (effet spectaculaire sorti de l’imagination de Jean-Michel Adam pour « Le limier ».
– un énorme hublot d’acier rouillé (en fait, constitué de 80% de bois…) qui s’ouvre, révélant les entrailles de la terre (« La Folle de Chaillot », décor de Bernard Fau).
C’est ce dernier son que je vais décomposer pour vous.
Matières premières sonores :
– le son d’un monte charge :
– le son d’un fût de métal jeté à terre :
– le son d’un mécanisme d’horlogerie :
– le son d’un treuil à chaîne :
– un son de frottement de métal :
– le son d’une vieille et lourde porte et de son verrou :
– le son d’une portière de camion (j’ai même les références, c’est un vieux Ford de 1934 !) :
Mixage :
Ces éléments vont être d’abord placés dans le temps du déroulement de l’ouverture de l’Oculus.
(On le voit en position fermée sur la photo ci-dessous).
C’est ici qu’il faut imaginer. Car, rappelons-le, tout cela n’existe pas en vrai.
Sur le plateau, il y a un gros rond de bois et de métal monté sur un axe, qui mû par une manivelle, tourne sur son axe.
Cela ne fait pratiquement aucun bruit !…
Alors, fermons les yeux
et essayons de voir comment ça devrait se passer si ça existait.
D’abord un élément qui se libère comme un verrou.
Puis le mouvement commence, difficilement au début, ça grince…
Ensuite ça devient plus facile une fois lancé.
Enfin, quand l’Oculus arrive en bout de course, de nouveau ça frotte, puis un autre verrou se ferme,
et le silence revient après un dernier rebond.
Une fois le déroulement construit, il faut placer les éléments dans l’espace.
Comme l’Oculus est fermé, on n’entend pas ce qui se passe derrière. Plus il va s’ouvrir, plus on va entendre ce qui s’y passe.
Le son d’une chaîne retenant un contrepoids s’entend peu à peu.
J’ai aussi imaginé une immense salle derrière, très profonde, comme un gouffre, et on perçoit progressivement ce que les murs de ce gouffre renvoient du son de l’Oculus.
Au final,
cela donne ceci :
Tout cela demande du temps et de l’imagination, mais en fait c’est très gratifiant,
et, je l’espère pour le spectateur, ça vaut le coup !
En bonus,
voici le thème principal de La Folle de Chaillot, et son mélange de musique et de bruitages.
« Entends-tu le signal de l’Orchestre Infernal ? »